INTELLIGENCE ET APPRENTISSAGE :LA RECHERCHE AU SERVICE DE LA MOTIVATION DES APPRENANTS
- Florence Fenouillet
- 6 mars 2024
- 19 min de lecture
#motivation #intelligence#apprentissage#évaluation
Florence Fenouillet, sophrologue
Fabien Fenouillet, professeur de psychologie positive, Université Paris Nanterre.
Apprendre et réussir - éditions RETZ
L’absence de motivation est aujourd’hui au cœur des préoccupations à l’école. Elle accompagne souvent l’échec, la rébellion, la dégradation du climat scolaire. Bon nombre d’entre nous rêverait de trouver la formule magique pour « motiver » un peu plus … un peu mieux ses élèves.
Sans motivation, pas de mise en mouvement.
Mais déjà, de quoi parlons-nous lorsqu’on évoque la motivation d’un élève ? Est-ce qu’on parle de ses performances, de ses résultats, de sa relation aux autres, de sa relation aux savoirs, de son intérêt, de son bien-être ? La recherche et l’expérimentation dans le cadre des apprentissages nous permettent d’avancer dans la compréhension de ce qu’est la motivation, concept qui dépasse bien-sûr largement le cadre de l’école et qui porte à polémique bien souvent en fonction des points de vue des personnes impliquées selon que l’on se focalise sur l’individu, le groupe social, les institutions, etc…
Il s’agit donc ici de vous proposer une approche de la motivation parmi tant d’autres. Cette approche est construite à partir des recherches et des expérimentations qui ont été menées dans le domaine de la psychologie cognitive, de la psychologie positive et des neurosciences et qui se sont intéressées plus particulièrement aux apprentissages.
Comment définir la motivation d’un individu ? ça peut être rechercher une récompense, apprendre pour le plaisir d’apprendre, par curiosité, par intérêt, par passion. Ça peut-être une de ces trois choses ou un mélange des trois.
La motivation est un concept assez complexe, qui recouvre une terminologie riche et variée.
En commençant par le concept de récompense, le choix de l’approche est historique. Mais ce n’est qu’une possibilité parmi tant d’autres… Ceci nous permettra par la suite une meilleure appréhension des conceptions plus modernes de la motivation. La première approche emblématique sur ce thème est celle de Pavlov (1937). Le principe de ces recherches est d’utiliser la nourriture pour récompenser le comportement. A cette époque, on ne parle pas encore de récompense mais de stimulus dit inconditionnel, car la récompense provoque sans condition l’apparition du comportement souhaité. Il va alors associer la récompense (stimulus inconditionnel) à un son de cloche (stimulus neutre) et constater que le son de cloche seul active la salivation du chien. Plus il va répéter l’expérience, plus le chien reproduira le comportement souhaité. Le chien a appris en associant un stimulus inconditionnel, une récompense, et un stimulus neutre, un signal. Dans ce cadre théorique, apprendre est donc une question d’ « associations ».
Sans association, pas d’apprentissage !
Dans ce contexte théorique faciliter l’apprentissages revient à faciliter les associations. Les théoriciens du comportement ou behaviouristes, se sont alors beaucoup intéressées à ces mécanismes d’association et à tout ce qu’il fallait mettre en place pour favoriser ces associations, notamment les répétitions.
Sans répétition, pas d’association.
Très vite, cette approche a connu certaines limites, mises en avant par les cognitivistes, qui se sont appuyés sur une conception de l’apprentissage en termes de traitement de l’information.
Le cognitivisme : comprendre le fonctionnement du cerveau pour mieux apprendre…
En 1930, Tolman et Honzik placent des rats dans un labyrinthe afin de mesurer soit le temps, soit le nombre d’impasses (erreurs) qu’ils mettent avant de parvenir à sortir et rejoindre la nourriture. Ils constatent que plus le rat est affamé, meilleurs sont ses résultats. Ils s’aperçoivent donc que la récompense (nourriture) ne marche que sous certaines conditions : ils doivent prendre en compte le fait que les rats soient affamés ou pas.
Il y a des conditions à respecter pour l’activation de la récompense
Dans une autre recherche, les mêmes auteurs ne prennent que des rats affamés divisés en trois groupes. Le groupe A n’est jamais renforcé. Le groupe B est renforcé régulièrement, c’est-à-dire qu’on va régulièrement lui donner de la nourriture à chaque essai. Ce groupe progresse plus vite que le groupe A. Le groupe C n’est renforcé que le 11è jour. Il rattrape le groupe B en un seul jour. Le fait qu’il rattrape en un seul jour indique que la récompense agit non pas sur l’apprentissage mais sur la performance. La performance peut être considérée comme un indicateur de l’apprentissage mais aussi de la motivation de l’organisme.
Apprentissage et Performance, ce n’est pas la même chose !
Ces deux recherches montrent que ce qu’on appelle « récompense » repose sur un principe actif. Ici, il ne suffit pas de donner de la nourriture car le besoin de manger est nécessaire pour faire de la nourriture une récompense. D’une manière plus générale, l’organisme doit être mis dans des dispositions qui permettent à la récompense d’agir.
On ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif !
Pour comprendre la récompense, il est nécessaire de s’intéresser à ce qui explique pourquoi l’individu met en place telle ou telle stratégie d’apprentissage, de quoi est faite la nature de la récompense qu’il en attend, quel principe actif va faire que la récompense va fonctionner.
Pour qu’une récompense fonctionne comme une récompense, elle doit répondre à un besoin.
Les chercheurs ont deux approches du besoin : le manque (behaviouriste) et plus récemment, la notion de satisfaction/plaisir. Nous allons revenir sur ces deux notions pour comprendre leur implication dans la motivation.
Tout d’abord, examinons de plus près une première conception du besoin liée au manque. Ici, on part du principe que, pour être motivé, il faut que vous manquiez de quelque chose. Autrement dit, dans les apprentissages, il faut que vous ayez conscience qu’il vous manque des connaissances et avoir envie d’acquérir ses connaissances. Si vous n’avez pas la soif de connaissances, vous n’apprendrez pas. Cette conception reprend le principe biologique de l’homéostasie appliqué aux besoins psychologiques.
La privation crée un manque qui crée un drive qui est la première conception de la motivation. Pour combler le manque, l‘individu met en place un comportement afin de retrouver un équilibre.
A présent, examinons une deuxième façon de concevoir les mécanismes sous-jacents à la récompense comme des mécanismes liés à la satisfaction.
Dans les années 1950, Old et Milner implantent des électrodes dans différentes zones du cerveau de plusieurs rats et leur laissent la possibilité de s’auto-stimuler en pressant un levier.
Ils constatent alors que certaines zones (septum et aire tegmentale ventrales) sont particulièrement stimulées. Ces zones seraient sources de plaisir.
Lorsque cette recherche fut menée chez l’homme par la suite, les personnes confirmèrent qu’elles ressentaient un plaisir intense lorsque ces zones étaient stimulées. On s’est aperçu que ces zones, riches en neurones dopaminergiques, étaient toutes liées au fonctionnement de la Dopamine.
Différents circuits qui articulent différentes aires cérébrales sont repérés dans le cerveau de l’homme : l’aire tegmentale ventrale, le noyau acumens, l’hypothalamus, le cortex frontal. Si vous activez ces différentes aires et différents noyaux, vous allez agir sur le plaisir.
La récompense active indubitablement ces zones dopaminergiques.
Cette notion de recherche de plaisir a été abondement explorée sur le comportement animal et depuis une trentaine d’années, on a la possibilité d’observer le fonctionnement du cerveau humain au travers de l’imagerie cérébrale fonctionnelle. On observe donc que lorsqu’on reçoit une récompense, ces zones s’activent. Les chercheurs en ont conclu qu’on était alors face à un circuit dit de « la récompense » comme l’ont nommée deux chercheurs en neurosciences, Haber et Knutson (2010). L’utilisation de la récompense active des zones associées au plaisir qui serait l’effet recherché dans le cadre des comportements motivés.
Le principe actif de la récompense serait donc la recherche de plaisir et non pas le manque.
Cela fonctionne effectivement bien chez l’animal et aussi chez l’homme mais estimer que ce n’est qu’un circuit de la récompense serait une erreur comme nous allons le constater ci-après, notamment dans cette expérience extrêmement intéressante menée en 2010 :
Murayama et collaborateurs (2010) comparent, grâce à l’imagerie, l’activité cérébrale chez des sujets répartis selon deux tâches distinctes et selon deux conditions (avec et sans récompense).
La première tâche est appelée « Stop-watch (SW) » : Un chronomètre s’affiche sur un écran. Pour gagner 1 point, l’individu doit appuyer sur le bouton au bout de 5 s. et l’arrêter dans un délai de 50 ms. La deuxième tâche est appelée « Watch stop (WS) » : Le même chronomètre s’affiche. L’individu doit, cette fois, plus simplement, appuyer sur le bouton mais une fois seulement que le chrono s’est arrêté.
Et comme nous l’avons dit plus haut, dans une des conditions, il n’y a pas de récompense quel que soit le résultat (groupe contrôle) et pour la deuxième condition, les sujets sont récompensés uniquement s’ils se trouvent dans la fenêtre des 50 ms (groupe récompense).
Les conditions de l’expérimentation : Deux sessions sont organisées pour chacune des tâches, pendant lesquelles les sujets sont sous imagerie cérébrale. Entre les deux sessions et à la fin de la deuxième session, il y a également une période de libre choix pendant lesquelles les participants doivent patienter seul dans la salle. Pendant cette période, le temps que passe l’individu sur l’activité cible (mesure comportementale) sans aucune contrainte permet de mesurer la motivation autodéterminée ou motivation intrinsèque pour les deux tâches de la recherche.
Murayama et ses collaborateurs obtiennent deux types de résultats :
Au niveau comportemental, ils constatent que le groupe qui n’est pas récompensé (groupe contrôle) passe plus de temps aussi bien sur la SW que sur la WS que le groupe expérimental.
Au niveau de l’imagerie cérébrale, on regarde plus précisément le striatum (l’un des noyaux dopaminergiques qui s’active avec la récompense). Le groupe récompensé a une activation significativement supérieure par rapport au groupe contrôle. En revanche, en session 2, le striatum du groupe contrôle s’active plus. Donc si dans un 1er temps, la récompense contribue à activer le système dopaminergique, dans un second temps, il contribue à le désactiver. C’est plutôt contreproductif. C’est là le 2ème effet de la récompense : Sur le court terme, il y a bien effet de la récompense sur le noyau acumens. Mais, son effet est dissociable de la réalisation de l’activité pour elle-même. Autrement dit, on agit pour récupérer la récompense et non pas pour l’activité elle-même. Si la récompense disparait, on cesse d’agir. Cet effet négatif de la récompense ne favorise pas la persistence pour l’activité.
L’utilisation de la récompense semble avoir pour effet de diminuer le « plaisir » que ressent l’individu pour la pratique de l’activité.
La récompense a donc un effet à court terme au détriment du long terme. Or la persistance, le long terme, est un élément essentiel en ce qui concerne les apprentissages. On comprend alors qu’avoir un motif, un but, un intérêt ne suffit pas sans persistance, sans volition. Persister, cela veut dire faire ses choix, être à l’initiative de ses activités, recommencer face à l’échec, chercher à s’améliorer, modifier ses stratégies et son comportement, savoir autoréguler ses apprentissages.
Autoréguler ses apprentissages, c’est agir sur le processus motivationnel
Bandura et Shunk ont beaucoup travailler sur les buts et le sentiment d’efficacité personnelle qui peut être considéré comme ingrédient essentiel à la motivation. Dans une recherche de 1981, ils réunissent, pour une expérimentation, des élèves de 7 à 10 ans qui ont été repérés pour leur difficultés à résoudre des problèmes de mathématiques (avis enseignants + test). On leur propose d’effectuer des exercices de soustraction. Pour ça, un livret a été conçu par des didacticiens avec 7 sessions sur 7 jours de façon que les élèves progressent de jour en jour.
Les conditions de l’expérimentation : On a 4 groupes qui correspondent à 4 types de but : 1/ but proximal (faire 6 pages à chaque session) 2/ but distal (Compléter 42 pages à la fin des 7 sessions 3/ sans but (autant de pages que possibles 4/ groupe contrôle (seulement les test).
25 problèmes de soustraction sont proposés aux élèves à la 4ème et à la 7ème session et on leur demande, non pas de les résoudre mais plutôt s’ils se sentent en mesure de les résoudre sur une échelle de 1 à 100. Cela permet de mesurer leur sentiment d’efficacité personnelle. On ajoute également une mesure de l’intérêt sur laquelle nous reviendrons par la suite.
En termes de sentiment d’efficacité personnelle, les groupes sont bien-sûr équivalents au niveau des prétests. A la 4ème session, on a une différence entre le but proximal et les 2 autres buts. Le groupe contrôle ne progresse pas bien-sûr puisqu’il n’apprend pas. A la 7ème session, le but proximal accentue son écart.
Le but proximal a bien une action positive sur le processus d’apprentissage.
Il renforce le sentiment d’efficacité personnelle.
En termes de performance, mesurée en pré test et en post test, les pourcentages de réussite des élèves du groupe proximal dépassent allègrement les élèves des autres groupes.
En termes d’intérêt, les élèves reviennent à une 8ème séance et on leur donne la possibilité soit de refaire des soustractions en libre initiative, soit de faire une activité de type rubik’s Cube. On mesure le nombre de soustractions qui sera réaliser par chacun des groupes. Là-aussi, les élèves du groupe proximal seront beaucoup plus nombreux à choisir de continuer à s’entraîner aux soustractions. Le but a donc un effet également sur un motif important dans les apprentissages scolaires qui est l’intérêt.
Tous les buts ne se valent pas.
Le Sentiment d’Efficacité Personnelle est indispensable à l’apprentissage et à la performance.
Le Sentiment d’efficacité personnelle et l’intérêt pour l’activité sont liés.
Nous commençons à présent à cerner toute la complexité du processus motivationnel. Celle-ci nous apparait d’autant plus lorsque nous observons certains apprenants qui, par leur attitude et les stratégies utilisées, démontrent que leur objectif n’est pas d’apprendre.
Les stratégies motivationnelles
Les résultats que nous avons présentés jusqu’ici permettent d’expliquer ce qui peut expliquer pourquoi nous sommes motivés (avoir un but) mais il n’est pas toujours simple de savoir quel but poursuit un apprenant comme le montre l’expérience de 1978 de Berglas et Jones.
Les conditions de l’expérimentation : Des étudiants en psychologie sont recrutés pour participer à une expérience sur « l’effet des drogues sur le fonctionnement intellectuel ». L’expérimentateur explique qu’une drogue (Actavil) devrait faciliter les performances intellectuelles alors que l’autre drogue (Pandocrin) devrait avoir l’effet inverse. Il précise également qu’il n’est pas certain que l’effet des drogues surgisse d’où leur présence dans ce laboratoire.
Après ces explications, les sujets sont invités à effectuer un test. Il leur est expliqué que ce test permet de discriminer les individus qui sont supérieurement intelligents.
Une première condition de passation est dite « normale » car les activités ont une solution que peut trouver le participant. La deuxième est dite « insoluble » car les problèmes sont insolubles sans que l’individu puisse le deviner. Même si, dans cette dernière condition, les sujets reçoivent dans tous les cas des feedbacks de réussite.
Les sujets sont alors invités à choisir l’une des deux drogues au dosage qu’ils désirent.
Ils ont également l’option de ne prendre aucune des deux drogues, l’expérimentateur expliquant qu’il a également besoin de sujets-contrôle. Enfin, après l’injection de la drogue tous les sujets sont invités à réaliser le deuxième test.
Il apparaît globalement que les sujets qui sont dans la condition « insoluble » choisissent significativement plus la Pandocrin (drogue qui affecte les résultats). Ce résultat peut paraitre curieux car ces participants, s’ils cherchaient vraiment à réussir, aurait dû choisir l’autre drogue. Ce choix indiquent donc que leur objectif n’est pas de réussir, la question est donc de comprendre quel est la stratégie que met en place l’individu.
Conformément à la théorie de l’autohandicap, le choix de la Pandocrin permet aux individus de masquer une attribution en termes de capacité en cas d’échec. Si l’individu prend la pandocrin et qu’il échoue, c’est à cause de la Pandocrin. S’il réussit, c’est qu’il est génial. Maintenant, s’il prend l’actavil et qu’il échoue, c’est qu’il est vraiment bête. On comprend alors le choix de la Pandocrin. L’objectif ici n’est pas de réussir, mais bien de protéger l’estime de soi.
La stratégie d’auto-handicap est donc une stratégie que l’individu met sciemment en place
et qui permet de préserver l’estime qu’il a de lui-même.
Les stratégies d’auto-handicap sont utilisées dans des situations où les enjeux sont particulièrement importants et où les impacts sur l’estime de soi sont les plus mortifères, comme les situations d’évaluation.
Une autre stratégie utilisé dans les apprentissages et liée à la motivation concerne l’optimisme et le pessimisme. Tout d’abord, gardons à l’esprit deux choses importantes : la première, comme nous venons de le voir, les élèves ne cherchent pas forcément à performer et la seconde, ils ne peuvent être motivés que s’ils estiment qu’ils peuvent réussir. Malgré tout, beaucoup de bons élèves peuvent utiliser le pessimisme pour réussir. L’expectation d’échec va être utilisée pour se motiver même si on sait que l’anxiété est généralement néfaste aux apprentissages. Cette recherche de Norem et Cantor va donc différencier le pessimisme réaliste qui concerne les élèves à niveau scolaire faible et qui peut conduire à l’auto-handicap, du pessimiste non réaliste qui concerne les élèves à niveau scolaire élevé qui vont utiliser l’expectation d’échec pour augmenter l’anxiété.
Les pessimistes non réalistes sont des perpétuels insatisfaits même si, par ailleurs, ils ont un bon Sentiment d’Efficacité Personnelle. Ils sont bien-sûr plus anxieux que les optimistes. Les chercheurs ont donc posé comme hypothèse que ces individus ont besoin de l’anxiété pour obtenir de plus hautes performances. Si c’est le cas, le fait d’agir sur leur niveau d’anxiété ne peut être que contreproductif. En d’autres termes, si l’anxiété est bien une motivation orientée vers la réussite alors diminuer l’anxiété devrait avoir comme effet de diminuer les performances.
Dans cette recherche, Norem et Cantor distinguent donc les pessimistes non réalistes qu’ils appellent « pessimistes défensifs » des optimistes. Dans une condition, ils vont les encourager et dans une autre, ils ne vont pas du tout les encourager. L’activité proposée consistera à réaliser des puzzles.
Ils constatent que les pessimistes sans encouragement arrivent à un niveau de performance bien supérieur aux pessimistes encouragés.
Le pessimisme défensif est finalement une stratégie bien spécifique mise en place par les élèves
qui vise à utiliser l’anxiété pour se motiver.
Cette stratégie est utilisée par des élèves qui ont un bon SEP forgé par des réussites passées. On pourrait se dire qu’il faut dans tous les cas calmer l’anxiété des élèves, mais on voit qu’en ce qui concerne ces élèves, cela serait contre-productif. Il ne faut pas chercher à les rassurer, entendre leur plainte car c’est cette plainte qui leur permet d’y arriver.
L’accompagnement consisterait non pas à vouloir les rassurer
mais plutôt à leur transmettre des outils de gestion des effets de l’anxiété
Le pessimisme défensif, tout comme l’auto-handicap sont des stratégies qui vont modifier largement l’apprentissage, soit interférer, soit faciliter. Ce sont des stratégies qui accompagnent l’apprentissage, qui sont au cœur de l’apprentissage. Il faut bien comprendre pourquoi ces différentes stratégies vont s’inviter de temps à autre. Il y a plusieurs cadres théoriques avec plusieurs explications possibles
Pour expliquer l’auto-handicap et le pessimisme défensif, la théorie de Dweck et Leggett présente un grand intérêt. Ils ont cherché à comprendre ce qui conduit les élèves à sélectionner certains buts autrement dit, ce que cherche à faire l’élève quand il apprend. Ils ont proposé de distinguer le but de performance du but d’apprentissage.
Dans une recherche de 1988, Dweck et Leggett vont impliquer les individus soit en fonction d’un but de performance, soit d’apprentissage. Pour le but de performance, on les a centrés sur l’ego, sur le self en focalisant leur attention sur leurs scores. Pour les centrer sur l’apprentissage, on a insisté sur les bénéfices que peut apporter la tâche dans la progression scolaire.
Les conditions de l’expérimentation : Dweck et Leggett commencent par induire une perception de compétence en donnant aux élèves un feedback soit positif (vous avez super bien réussi), soit négatif (vous n’avez pas très bien réussi) sur un pré-test. Ensuite, dans un second temps, les élèves sont impliqués soit vers un but de performance, soit vers un but d’apprentissage.
On leur demande ensuite de choisir le niveau de difficulté de la tâche : facile – moyen – difficile, sachant que, quel que soit leur choix, c’est la même tâche qui est donnée à tous. Ensuite, on leur présente une première série d’activités qu’ils peuvent réussir (tâches de réussite) puis une série d’activités impossibles à réussir (tâches d’échec) sans que les individus s’en doutent.
Les résultats laissent apparaitre qu’avec un but de performance, lorsqu’il y a un feedback négatif en début d’expérience, les enfants ne choisissent jamais les tâches difficiles. Ils diminuent leur efficience stratégique sur les tâches d’échec et ils attribuent l’échec à leur manque de capacité. Lorsqu’il y a un feedback positif, 14% des sujets choisissent une tâche difficile et lorsqu’ils échouent, attribuent leur échec à un manque d’effort.
Avec le but d’apprentissage, il n’y a pas de différence entre les feedbacks positif et négatif. C’est intéressant car, on voit là que quand on a un but d’apprentissage, on est capable d’accepter les feedbacks négatifs sans que ça impacte le type de stratégies mises en place ni l’attribution de compétence même chez les sujets faibles.
L’enseignant peut donc influencer le comportement d’un élève soit en le focalisant sur la tâche (but d’apprentissage), soit sur l’égo (but de performance).
L’environnement peut donc influencer le but poursuivi par l’apprenant. Lequel, par ailleurs, va également s’orienter en fonction de ses préconçus, de ses aprioris. L’élève qui a une conception selon laquelle on naît avec une capacité à apprendre, donnée une fois pour toute, ne va pas chercher à s’améliorer mais va plutôt chercher à révéler ce qu’il sait faire ou pas. Au contraire, l’élève qui croit que la compétence est quelque chose qui s’acquiert, qui se travaille au travers d’une activité, va plutôt chercher à apprendre le plus possible, convaincu de pouvoir ainsi progresser.
Au-delà d’orienter les élèves sur un but ou un autre,
il faut agir sur les conceptions qu’a l’élève de l’intelligence.
L’intelligence est un champ de recherche extrêmement exploré, notamment par Dweck et Legget qui ont mis en évidence, en 1998, deux grandes conceptions de la compétence, qu’on appelle plutôt en France, l’intelligence : d’une part, une conception fixiste et d’autre part, une conception incrémentale.
Avec une conception fixiste, l’individu conçoit l’intelligence, et donc se considère lui-même, comme une entité constituée de traits stables, fixes, innés, non contrôlables, que l’on peut difficilement changer. On dira, par exemple, d’un élève qu’il a « la bosse des mathématiques », ou bien « qu’il n’est pas fait pour les langues » … On comprend que cela fonctionne bien en termes motivationnels seulement lorsque l’élève a de bons résultats.
Lorsque l’élève a une conception fixiste de l’intelligence,
il cherche avant tout à éviter l’erreur qui devient une « entité » source d’anxiété
Avec une conception incrémentale, l’individu se représente l’intelligence et se considère lui-même comme constitué d’un ensemble de qualités malléables, contrôlables, qui peuvent s’améliorer avec le temps. Avec cette conception, l’élève va chercher à savoir comment apprendre le plus possible. Il va se servir de l’erreur pour progresser dans ces apprentissages.
En 1985, un article de Legget établit les corrélations entre les buts et les conceptions de l’intelligence. Il apparait alors que 80% des individus qui ont une conception fixiste vont viser un but de performance (évitement ou recherche de performance), alors que 60% des individus qui ont une conception incrémentale de l’intelligence s’oriente massivement vers un but d’apprentissage.
Une conception incrémentale de l’intelligence permet de s’orienter
vers un but d’apprentissage plus favorable à l’acquisition de nouvelles connaissances.
Pour progresser dans ses apprentissages, l’élève doit utiliser les feedbacks, les retours qui lui sont faits, de manière appropriée. Tout comme l’erreur, ces feedbacks ne vont pas être traités de la même façon par les apprenants en fonction de leur orientation vers l’un ou l’autre des buts.
Avec un but d’apprentissage, l’élève utilise l’erreur et les feedbacks
comme de simples informations qui lui permettent de progresser.
Une recherche publiée en 2011 par Moser et al. confirme, à travers l’imagerie cérébrale, les répercussions des conceptions de l’intelligence sur l’apprentissage.
Le principe de la recherche est le suivant : Une tâche de lettres adjacentes (Flanker task) est proposée. Les participants doivent identifier correctement la lettre centrale (cible) d’une chaîne de cinq lettres dans laquelle la cible est soit congruente (par ex, MMMMM), soit incongruente (par ex, NNMNN) avec les lettres adjacentes. Par ailleurs, les participants remplissent un questionnaire permettant d’évaluer s’ils ont une conception fixiste ou incrémentale de l’intelligence.
Au niveau des résultats, il n’y a pas de relation entre le nombre d’erreurs et les conceptions de l’intelligence. En revanche, quand on a une conception incrémentale, si on a commis une erreur, l’essai d’après, on a tendance à faire moins d’erreur, à être plus précis.
Au niveau de l’activité cérébrale, on observe l’amplitude de certaines courbes EEG. La courbe « erreur de négativité » est une courbe qui se produit lorsque l’individu enregistre qu’il a fait une erreur. On s’aperçoit que la façon de réagir des individus va être totalement différente entre ceux qui ont une conception fixiste et ceux qui ont une conception incrémentale de l’intelligence. Les individus avec une conception incrémentale vont avoir davantage d’activité électrique à la suite d’une erreur, une plus grande positivité liée à l’erreur.
Les chercheurs constatent également une meilleure prise en compte de l’erreur par l’élève en conception incrémentale : il est davantage en mesure de traiter l’erreur et il est donc plus à même de progresser dans ses apprentissages.
Les individus qui ont une conception incrémentale de l’intelligence
vont davantage réfléchir après avoir commis une erreur.
Une recherche de Blackwell et All en 2007 renforcent ces conclusions en proposant cette fois un véritable programme permettant d’infléchir les conceptions de l’intelligence :
Dans cette étude, des élèves de 5éme ont été spécialement choisis pour leurs faibles évaluations en mathématiques (inférieur au 35ém percentile au niveau national). Les élèves ont été informés qu'ils avaient la possibilité de participer à un atelier de huit semaines au cours duquel ils se familiariseraient avec le cerveau et recevraient un enseignement qui les aiderait dans leurs études.
Les élèves sont répartis en 2 groupes et participent à des ateliers structurés de manière similaire, comprenant tous deux des cours sur la physiologie du cerveau, les techniques d’étude et développant la pensée anti stéréotypique (modes de pensée simplifiée).
Dans le premier groupe dit expérimental, on propose des lectures, des activités et discussions scientifiques, spécifiques prônant les bienfaits de l'intelligence malléable (conception incrémentale).
Les élèves du second groupe dit contrôle suivent une leçon sur la mémoire et discutent de questions académiques qui les intéressent personnellement.
Huit sessions ont lieu pour les 2 groupes :
Pour le groupe expérimental : En session 1 et 2, on aborde la structure et les fonctions du cerveau (anatomie, localisation fonctionnelle, structure neuronale, neurotransmission). En session 3 et 4, on procède à la lecture (à voix haute, en classe) de textes liés à la théorie incrémentale et on les guide sur une activité appelée « Le labyrinthe de réseaux neuronaux », montrant comment l’apprentissage rend le cerveau plus intelligent. En Session 5 et 6 : on diffuse une leçon anti-stéréotype (diapositives, activité, discussion pour illustrer les pièges des stéréotypes). On évoque également les stratégies d’apprentissage (diapositives, conférences, discussions et documents sur la gestion du temps et les techniques d’apprentissage). Les sessions 7 et 8 ont pour thème « Apprendre vous rend plus intelligent ». Et on y évoque les étiquettes (stupide, bête, par exemple) qui doivent être évitées.
Pour le groupe contrôle : Ce sont les mêmes contenus pour les sessions 1,2,5 et 6. Dans les sessions 3 et 4, en lieu et place du thème sur l’intelligence incrémentale, on fait une lecture sur le fonctionnement de la mémoire (à voix haute en classe) et une activité sur le même thème : « Astuces de l’épicerie», suivie d’un enseignement sur les stratégies mnémoniques. Et dans les sessions 7 et 8, en lieu et place de réflexions autour des étiquettes, on ouvre une discussion avec les élèves sur leurs difficultés et succès scolaires.
Alors qu’il n’y a pas de modification pour les élèves du groupe contrôle, les élèves du groupe expérimental modifient significativement leur conception de l’intelligence. On peut donc dire que ce type d’intervention a un bien un effet sur les conceptions de l’intelligence.
On s’aperçoit que parmi les individus extrêmement faibles, lorsqu’on modifie leur conception de l’intelligence, ils ont une progression significative au niveau de leurs résultats en fin d’année.
Ce type d’intervention influencent donc les stratégies d’apprentissage et aussi les résultats scolaires des élèves. Les conceptions de l’intelligence et les stratégies mises en place par les élèves sont donc des éléments forts pour comprendre la motivation dans les apprentissages particulièrement en situation d’évaluation.
Nous vous proposons de retenir quelques points essentiels des recherches dans ce domaine et, pourquoi pas, quelques préconisations favorables aux apprentissages :
Eviter de confondre Performance et Apprentissage car la performance n’est qu’un éventuel indicateur de l’apprentissage
Eviter d’orienter les élèves vers un but de performance néfaste pour l’apprentissage (Exit la quête de la meilleure note de la classe ! )
Utiliser l’évaluation comme un outils d’information pour l’élève et non comme une sanction. L’évaluation est intéressante en termes d’apprentissage que si elle est un support d’information et de communication entre l’élève et son enseignant.
Dissocier les périodes d’apprentissage des périodes d’évaluation et valoriser l’erreur en période d’apprentissage.
Attention au principe des « groupes de niveau » qui ancrent une conception fixiste de l’intelligence. (Exit les étiquettes !)
Bibliographie :
Bandura, A., & Schunk, D. H. (1981). Cultivating competence, self-efficacy, and intrinsic interest through proximal self-motivation. Journal of Personality and Social Psychology, 41(3), 586–598.
Berglas, S., & Jones, E. (1978). Drug choice as a self-handicapping strategy in response to noncontingent success. Journal of Personality and Social Psychology, 36, 405–417.
Blackwell, L. S., Trzesniewski, K. H., & Dweck, C. S. (2007). Implicit theories of intelligence predict achievement across an adolescent transition: a longitudinal study and an intervention. Child development, 78(1), 246–263.
Dweck, C. S., & Leggett, E. L. (1988). A social-cognitive approach to motivation and personality. Psychological Review, 95(2), 256–273
Haber, N., & Knutson, B. (2010). The reward circuit: Linking primate anatomy and human imaging. Neuropsychopharmacology 35, 4–26.
Leggett, E. L. (1985). Children's entity and incremental theories of intelligence: Relationships to achievement behavior. Paper presented at the annual meeting of the Eastern Psychological Association, Boston
Moser, J. S., Schroder, H. S., Heeter, C., Moran, T. P., & Lee, Y. H. (2011). Mind Your Errors: Evidence for a Neural Mechanism Linking Growth Mind Set to Adaptive Post-Error Adjustments. Psychological Science, 22, 1484-1489
Murayama, K., Matsumoto, M., Izuma, K., & Matsumoto, K. (2010). Neural basis of the undermining effect of monetary reward on intrinsic motivation. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 107(49), 20911–20916.
Norem, J., & Cantor, N. (1986). Defensive pessimism : Harnessing anxiety as motivation. Journal of Personality and Social Psychology, 51, 1208–1217.
Olds, J., & Milner, P. (1954). Positive reinforcement produced by electrical stimulation of septal area and other regions of rat brain. Journal of Comparative and Physiological Psychology, 47(6), 419–427.
Pavlov, I. P. (1927). Conditioned reflexes: an investigation of the physiological activity of the cerebral cortex. Oxford Univ. Press.
Tolman, E. C., & Honzik, C. H. (1930). Introduction and removal of reward, and maze performance in rats. University of California Publications in Psychology, 4, 257–275.
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